Interview



Les cinq univers d’António Zambujo




«Quinto» («cinquième» en portugais) comme le cinquième album de sa carrière, cinq comme le quintet de musiciens qui jouent sur l’album, ou encore ses cinq références musicales. António Zambujo signe avec «Quinto» l’un des plus beaux albums portugais de l’année 2012. C’est à la veille de son concert au Coliseu qu’il nous reçoit à Lisbonne sans nervosité apparente avant cette date importante pour lui, pour nous parler de «Quinto», album qui lui a permis de devenir l’une des figures incontournables de la musique portugaise actuelle. Le public parisien pourra le retrouver le 8 février à l’Alhambra dans le cadre du Festival Au Fil des voix

Avec « Quinto » vous réussissez à imposer une sonorité musicale qui n’appartient qu’à vous. Comment définiriez-vous votre musique ? Peut-on encore parler de fado pour définir la musique d’António Zambujo? 
En aucune manière et je crois que plus personne ne se pose la question. Le fado et la musique traditionnelle de ma région, l’Alentejo, sont les deux piliers de tout ce que je fais. Pour moi, ce sont deux grandes références qui se maintiendront toujours. Et à ces deux piliers, j’ai ajouté des choses au fur et à mesure de mes écoutes musicales. Quand j’ai entendu João Gilberto pour la première fois, je suis tombé amoureux de la musique brésilienne et j’ai assumé la musique brésilienne comme une référence. Quand j’ai découvert Chet Baker, j’ai commencé à écouter du jazz et à l’assumer comme référence. J’ai pris plus tard des cours de guitare dans une école de jazz à Lisbonne. Puis j’ai écouté Cesária Evora, je suis tombé amoureux des mornas du Cap Vert et je l’ai assumé comme référence. Je crois que ces 5 univers : le fado, la musique traditionnelle, la musique brésilienne, les mornas du Cap Vert et le jazz sont mes plus grandes références en tant qu’interprète et en tant que compositeur. Et c’est dans ces univers que ma musique voyage. On a réussi, notamment avec « Quinto », à créer une sonorité qui nous est propre. 

«Quinto» a t-il suivi un processus de création différent des autres albums ? 
Le processus fut plus simple que pour les autres albums car les collaborations se sont construites petit à petit au fil des années avec les auteurs qui écrivent pour moi, les musiciens qui jouent avec moi. A partir de 2009, on a fait de plus en plus de concerts, on a beaucoup voyagé. Jouer ensemble nous a permis d’avoir une vraie complicité. « Quinto» a été un album très facile à faire, notamment grâce à ça, les choses étaient déjà bien huilées. Une des grandes différences avec les albums précédents, c’est que nous avons voulu enregistrer une partie de l’album en live. C'est ce que nous avons fait dans un théâtre à Sines. 

Vous chantez un Portugal d'aujourd'hui dans "Quinto", toutefois vous ne signez aucune des paroles de l'album. Cela ne vous manque-t-il pas ? 
Aucunement. Je n’en ressens pas le besoin et je n’en ai pas la vocation. Je suis beaucoup plus musique que parole, même si j’aime beaucoup la poésie. Je n’ai jamais ressenti l’inspiration pour écrire des paroles. 

Comment travaillez-vous avec les auteurs qui écrivent pour vous, comme João Monge, Nuno Júdice, Maria do Rosário Pedreira ou encore l’écrivain angolais José Eduardo Agualusa? 
Je n’impose pas de thème, je leur donne une liberté totale. Ils savent pour qui ils écrivent, ils me connaissent bien, moi et ma musique. Cela me permet d’avoir une totale confiance en ce qu’ils vont me proposer. En plus d’être certain que ce sera de qualité, je sais que cela me ressemblera. 

On retrouve sur cet album Pedro Da Silva Martins du groupe Deolinda, comment est née cette collaboration ? 
J’ai connu Pedro, il y a environ un an, on assistait au même concert. On s’est croisé à la fin, on s’est dit qu’on admirait le travail l’un de l’autre. Peu de temps après, je suis entré en contact avec lui, je voulais qu’il essaie de faire une musique pour moi. Il m’a répondu qu’à l’époque il avait déjà un dossier dans son ordinateur avec mon nom parce qu’il voulait me montrer certaines choses. J’aime beaucoup le résultat final et les musiques qu’il a composées (« Algo estranho acontece » et « Queria conhecer-te um dia ».) Je trouve, qu’avec Miguel Araújo (Os Azeitonas), il fait partie des meilleurs paroliers/compositeurs de cette nouvelle génération de musiciens portugais. 



Les journalistes aiment à répéter que vous êtes le «João Gilberto du Portugal». Comment le prenez-vous? Cela vous agace-t-il ? 
Que ce soit clair : c’est ce que les autres disent de moi, cela ne vient pas de moi ! Mais puisqu’on me compare à quelqu’un, je préfère que ce soit à João Gilberto plutôt qu’à Julio Iglésias ! 

Chantez-vous encore dans les Casas de Fado ? 
Plus depuis plus d’un an. C’est devenu incompatible avec ma carrière. 

Cela vous manque-t-il? 
Beaucoup. La complicité que l’on a avec les musiciens dans ces espaces, accompagner, écouter d’autres artistes, tout ça est très important. Même si composer est un processus égoïste, il est important d’absorber d’autres musiques, d’écouter d’autres artistes, afin de voir ce que l’on peut améliorer ou au contraire ce que l’on doit éviter. C’est un vrai apprentissage et on retrouve cela dans les Casas de Fado, car il y a chaque soir cinq à six personnes qui chantent. Et puis, il y a ce contact privilégié avec le public, la proximité, l’ambiance, les lumières tamisées. Je me souviens que j’avais l’habitude de chanter appuyé contre un pilier à Senhor Vinho. Je m’y sentais vraiment bien. J’y rechanterais un jour, occasionnellement, juste pour le plaisir. 

Vous êtes très souvent en concert en France, sentez-vous une différence entre les publics français et portugais? 
Il y a une chose très curieuse. Je me suis rendu compte que dans les pays du nord de l’Europe, j’y inclus la France, le public avait une très grande écoute. On sent que c’est un public très attentif et intéressé. Si intéressé que parfois il peut paraître peu enthousiaste et applaudir peu entre les chansons. Mais à la fin du concert, c’est toujours l’apothéose. En France, la réceptivité a toujours été très bonne. Très curieusement, j’ai compris au concert d’hommage à Zeca Afonso qu’il y avait beaucoup de Portugais qui habitaient en France et qui ne me connaissaient pas. J’espére qu’ils seront nombreux à l’Alhambra à venir découvrir ma musique! 
Interview réalisée pour le CAPMag(Février 2013) / Crédit Photos : Jonas Batista

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